L'effondrement des coûts des panneaux photovoltaïques au silicium et le développement du modèle du financement par un tiers a boosté le secteur du solaire photovoltaïque aux Etats-Unis. La conjonction des deux phénomènes a rendu l'énergie solaire abordable pour des milliers de particuliers américains, sans leur imposer le déboursement d'un capital initial souvent jugé conséquent. Les données de l'industrie montrent ainsi que les trois quarts des installations photovoltaïques américaines financées en 2012 l'ont été par des tiers.

Cette formidable progression - tant attendue qu'applaudie - a néanmoins des limites à court terme, et le secteur aura besoin d'afflux en capitaux plus importants s'il souhaite pérenniser sa croissance. Les stratégies de financement dans le secteur solaire vont donc jouer un rôle majeur dans les prochains mois et les prochaines années, notamment s'il s'agit d'atteindre les objectifs de l'initiative SunShot lancée par le gouvernement fédéral américain [1]. D'après le NREL (National Renewable Energy Laboratory), les coûts intangibles du solaire représentaient en 2013 respectivement 50% et 40% des coûts totaux pour une installation résidentielle et commerciale [2-3]. Une baisse substantielle de ces derniers est à prévoir d'ici 2020. Le financement des installations est l'un des postes clés, associé à trois autres secteurs qui devraient permettre à l'industrie photovoltaïque d'augmenter sa compétitivité : la pénétration du marché, le permis, l'inspection et les connexions, enfin le coût du travail.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Les innovations dans l'ingénierie financière sont nécessaires à la croissance du secteur solaire photovoltaïque
Crédits : MS&T, Source : Fotolia

Nous avons vu dans les lignes de Bulletin Electronique que le crowdfunding est une source de fonds innovante et prometteuse dans le secteur des technologies propres, mais elle présente des limites substantielles en matière de reproductibilité [4-5]. Certains pensent qu'après le financement de quelques centaines de projets, le souffle va s'estomper. A l'inverse, d'autres y voient la clé du financement du solaire et d'autres sources d'énergie distribuées, si l'effet d'échelle est au rendez-vous et si la régulation américaine s'assouplit. Aujourd'hui, les règles régissant le crowdfunding sont intégrées dans la loi bipartisane JOBS ("Jumpstart Our Business Startups"), signée par le président Obama le 5 avril 2012. L'objectif général de cette loi est de faciliter l'accès au capital pour les jeunes entreprises et permettre aux entrepreneurs et startups de lever des fonds en échange d'un titre de propriété de l'entreprise, autrement dit une action. On parle alors d'equity crowdfunding, ou d'investissement participatif en capital. Pour mettre en place la législation et protéger les investisseurs, la "Securities and Exchange Commission" (SEC) a été chargée de spécifier les principes directeurs et les règles de l'equity crowdfunding : après quelques contretemps politiques, la SEC a entériné une première législation en octobre 2013.

Le crowdfunding ne peut être l'unique réponse. La clé réside obligatoirement dans le financement de projets photovoltaïques à plus grande échelle, c'est-à-dire issu des marchés financiers. Pourtant, ce type d'accès aux capitaux est encore considéré comme trop "cher". La capacité des acteurs du secteur à proposer des taux d'intérêt équivalents aux taux actuels de crédit, ainsi que des produits financiers standardisés, sera critique à moyen terme pour passer d'une viabilité économique des projets photovoltaïques de quelques segments de marché à la totalité du marché renouvelable existant. D'après Kristian Hanelt, vice-président à Clean Power Finance, la recherche de financements sur les marchés financiers va se multiplier, et des effets de leviers conséquents sont à attendre. En novembre 2013, SolarCity a d'ailleurs issu la première série d'obligations basées sur des actifs solaires à hauteur de 54 millions de dollars. C'est une avancée majeure que de nombreux acteurs de l'industrie attendaient impatiemment !

Fin 2012, un conglomérat de lobbies, cabinets d'avocats et membres du Congrès ont interpelé le président américain sur une série de modifications à la régulation fédérale permettant d'avoir un accès plus large à des capitaux publics. Ils s'adressèrent ensuite au Trésor Américain afin de pouvoir étendre le principe de plusieurs véhicules d'investissements comme les REIT (Real Estate Investment Trusts) et les MLP (Master Limited Partnerships) au développement des énergies renouvelables, créés à l'origine respectivement pour le développement immobilier et pour stimuler les investissements dans les infrastructures énergétiques dont l'intensité capitalistique est importante (pétrole, gaz). Devant les difficultés régulatoires et fiscales d'adaptation de ces deux carcans d'investissement, d'autres véhicules intitulés YieldCos sont apparus sur le devant de la scène.

En voici une définition plus précise :

- Un REIT est à l'origine une société cotée en bourse dont l'objectif est la distribution de dividendes à travers la gestion et la valorisation d'un patrimoine immobilier. Le statut de REIT (qui existe depuis 1960 aux USA, 2003 en France et 2007 au UK) implique que la société n'est pas imposée sur ses bénéfices, mais en contrepartie doit distribuer à ses actionnaires une très large part de son résultat : entre 80 et 95% selon le pays d'imposition. Ce revenu est déductible des taxes professionnelles. Il existe aussi d'autres contraintes, sur l'endettement par exemple, selon les législations. Les REIT sont donc idéaux pour les investisseurs qui recherchent un complément de revenu sous forme de dividendes plutôt qu'une hausse "virtuelle" de la valorisation de leur portefeuille boursier. L'idée serait donc d'intégrer des actifs solaires dans le patrimoine géré.

- Le MLP, ou société en commandite ouverte en France, est une société de personnes (ou une société à responsabilité limitée, traitée aux Etats-Unis comme s'il s'agissait d'une société de personnes) dont les parts sont négociées comme des actions dans une bourse reconnue. Les lois américaines sur l'impôt traitent souvent les sociétés de personnes de ce genre comme des sociétés ouvertes, en assujettissant les parts à l'impôt des sociétés et en imposant les dividendes aux détenteurs de parts. Cependant, certaines MLP "admissibles" ne sont pas imposées au niveau de l'entité, l'impôt s'appliquant plutôt au niveau des détenteurs de parts ou des associés. Les MLP "admissibles" évitent ainsi la double imposition que subissent les sociétés ouvertes et reproduisent dans une grande mesure les caractéristiques fiscales des fiducies de revenu : c'est ce type de véhicule qui pourrait être utilisé dans le cas du solaire. Le phénomène des MLP s'observe surtout aux Etats-Unis. Les MLP ont été utilisées pour toutes sortes de projets, dans différents secteurs. Cependant, l'électricité n'est pas considérée comme une ressource limitée ou une ressource naturelle, de fait les énergies renouvelables et de manière plus large les projets d'efficacité énergétique ne sont pour le moment pas éligibles pour ce genre de véhicule.

- Enfin, les YieldCos [6] sont de nature très proche des deux précédents véhicules : il s'agit de sociétés dont les parts sont échangées publiquement sur les marchés et les dividendes transmises aux actionnaires. Ces derniers reçoivent typiquement un dividende mensuel issu du revenu généré par le portfolio de projets (ici photovoltaïques). Plusieurs grands acteurs du secteur ont déjà utilisé des YieldCos : NRJ Energy a lancé NRJ Yield en 2013, composé d'un portefeuille d'actifs énergétiques - notamment solaires - pour une puissance cumulée d'1,3 GW [7], SunEdison a annoncé en février dernier travailler sur son propre YieldCo pour un montant de 300 millions de dollars [8].

La structure des REIT et des MLP sont actuellement à l'étude au niveau fédéral afin de les adapter au secteur du photovoltaïque. Certaines spécificités comptables et fiscales inhérentes au secteur immobilier doivent être modifiées afin d'inclure des actifs énergétiques dans les REIT. Les MLP doivent être réformés pour inclure l'électricité comme source éligible de revenu. De surcroît, les mécanismes de crédits d'impôts disponibles à l'installation de capacités renouvelables aux Etats-Unis - citons par exemple l'ITC (Investment Tax Credit) ou le MACRS (Modified Accelerated Cost Recovery System) - peuvent rentrer en conflit avec ces véhicules d'investissement, en raison notamment du faible niveau de taxes généré par les MLP et les REIT. L'alternative pourrait être d'intégrer des actifs ayant déjà bénéficié d'avantages, ce qui reviendrait à composer des portefeuilles de projets déjà existants [9].

Retenons que le marché du photovoltaïque est en plein boom, et les investisseurs américains sont de plus en plus confiants envers les projets solaires et les retours attendus sur investissement. Cependant, les innovations dans l'ingénierie financière auront un rôle essentiel dans la croissance future d'une industrie souvent critiquée pour son dynamisme dépendant d'aides publiques. Sur ce plan, 2014 devrait être une année charnière, avec la démultiplication de véhicules d'investissement plus exotiques portés par les organismes financiers et acteurs phares du secteur.


Sources :

ADIT - http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/75536.htm

- [1] Description de l'initiative SunShot : http://1.usa.gov/PpITXS
- [2] NREL Releases New Roadmap To Reducing Solar PV "Soft Costs" By 2020. Clean Technica. Disponible sur : http://bit.ly/1nGrHc1
- [3] Non-hardware soft cost-reduction roadmap for residential and small commercial solar photovoltaics 2013-2020. National Renewable Energy Laboratory. Disponible sur : http://1.usa.gov/19a0V8Z
- [4] Destrez, A. Le "crowdfunding" aux Etats-Unis : entre attente et espoir pour les entrepreneurs et les investisseurs. Bulletin Electronique 318. Disponible sur :http://bit.ly/1fnNyhS
- [5] Bouffaron, P. Solar as a Service, solar crowdfunding et Battery University : les cleantechs n'ont pas dit leur dernier mot en Californie. Bulletin Electronique 321. Disponible sur : http://bit.ly/1haiynX
- [6] This 'Yield Co' Variation Is Yet Another Financial Innovation in Clean Energy. Greentechmedia. Disponible sur : http://bit.ly/18ZIb9U
- [7] A rock that churns out cash: solar YieldCos. Rocky Mountain Institute, Juillet 2013. Disponible sur : http://bit.ly/1fRLWCQ
- [8] SunEdison launches yieldco to unearth, leverage solar asset values. Renewable Energy World. Disponible sur : http://bit.ly/1iwHR95
- [9] Texier, M. New Financing Structures For Clean Energy Can Help Bring Down Solar Soft Costs. Clean Technica. Disponible sur : http://bit.ly/1lpyYhK


Rédacteurs :

- Pierrick Bouffaron (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.) ;
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