Le tremblement de terre et le tsunami de mars 2011 au Japon montrent que si l’économie peut se remettre d’un cataclysme naturel malgré des milliers de morts et des territoires détruits, il n’en est pas de même quand une catastrophe concerne une centrale nucléaire. Dans le cas de Fukushima, en particulier, le Japon ne pourra pas continuer à développer des centrales nucléaires sans se poser la question : comment sortir de cette impasse énergétique ?

Il n’y a rien d’indécent, à partir de la situation au Japon, à s’interroger sur nos propres choix énergétiques. De deux choses l’une :

- Soit les ingénieurs responsables du nucléaire français sont tellement au-dessus du niveau de leurs collègues des autres pays que nous sommes définitivement à l’abri d’un accident nucléaire majeur. Si c’est le cas, on entendra les défenseurs du nucléaire français dénoncer l’irresponsabilité de l’exploitant japonais pour affirmer qu’un tel accident est impossible dans notre pays. Dans cette hypothèse, il n’y a effectivement rien à discuter et aucun débat n’est possible.

- Soit le nucléaire français n’a rien d’exceptionnel, une catastrophe nucléaire est possible pour des raisons que nous ne connaissons sans doute pas, pour une faiblesse que nous n’avons pas identifiée ou une série de causes et d’effets que nous n’avons pas imaginés. Peut-on prévoir les conséquences d’un accident comme celui de Fukushima sur l’une des centrales nucléaires françaises. Elle pourrait se produire dans l’un des réacteurs situés le long du Rhône, en été, quand le débit du fleuve est très faible et le refroidissement très difficile à assurer ? Comment notre pays ne serait-il pas ruiné après un tel accident, du point de vue de la santé publique, des dégâts à l’environnement, des impacts économiques sur le tourisme et l’agriculture ?

Si un accident nucléaire tel que celui de Tchernobyl ou Fukushima est possible en France, il faut alors se demander si le nucléaire est aujourd’hui, dans le contexte que nous connaissons, le bon choix énergétique pour le siècle qui commence. Ne faut-il pas sérieusement, de façon responsable, envisager de sortir du nucléaire, progressivement sans doute, mais inexorablement ?

Le nucléaire n’est pas bon pour la démocratie : on constate au Japon aujourd’hui le même comportement opaque des autorités japonaises pour gérer la catastrophe et informer les citoyens que celui que nous avons connu en France à la suite de la catastrophe de Tchernobyl. Les autorités en charge de la sûreté nucléaire minimisent les conséquences, emploient un jargon que personne ne comprend et utilisent le fait que les radiations sont indétectables par le corps humain pour en amoindrir les effets.

Mais les atteintes à la démocratie et les risques d’accidents ne sont pas les seuls motifs justifiant la sortie du nucléaire : après 30 ans de discours sur le recyclage, le retraitement, la décontamination … on ne sait toujours pas comment se débarrasser des déchets engendrés par cette industrie et on n’envisage pas d’autre « traitement » que leur enfouissement pour des millions d’années dans des sites que nous cherchons encore. Les responsables du nucléaire passent sous silence le fait que le nucléaire, même s’il émet moins de CO2 que le pétrole ou le gaz, n’est pas une énergie renouvelable : l’indépendance énergétique de la France n’est pas liée au nucléaire, les mines d’uranium exploitables sur le territoire français sont épuisées et nous dépendons du Niger et d’autres pays pour notre approvisionnement en uranium.

Enfin, et plus fondamentalement, le nucléaire est une vieille énergie héritée du XIXe siècle. Cette énergie repose la destruction des noyaux d’atomes dans des réacteurs. Une centrale nucléaire fonctionne sur le principe d’une chaudière à charbon dont le combustible est l’uranium. Il faut disposer d’énormes quantités d’eau pour refroidir ce cœur nucléaire, d’où l’implantation des centrales le long d’un grand fleuve ou en bord de mer (il est aberrant de construire une centrale nucléaire dans le désert). Cette technologie directement issue de la machine à vapeur est totalement dépassée depuis qu’au XXe siècle on a découvert le silicium et l’électricité photovoltaïque. Le photovoltaïque fait appel à la mécanique quantique et aux mécanismes subtils qui mettent en jeu les interactions entre la surface de la matière et la lumière. Même si le solaire peut produire des quantités d’énergie correspondant aux besoins de l’humanité entière, aucun accident de type Fukushima ou Tchernobyl n’est à craindre avec cette technologie qui ne touche pas au cœur des atomes.

Bien sûr, sortir du nucléaire oblige à penser à d’autres scénarios énergétiques. Certains y travaillent, comme l’association Négawatt. Par quoi remplacer le nucléaire et les énergies fossiles ? Derrière cette question se cache la peur de manquer d’énergie.

Un article paru dans le Monde Magazine le 26 mars 2011 propose une alternative : Le soleil fournira 100% de nos besoins énergétiques dans vingt ans.

Cette affirmation n’émane pas d’un farfelu mais d’un inventeur, entrepreneur et théoricien américain, Ray Kurzweil. Dans l’entretien qu’il a accordé au journaliste Frédéric Joignot, ce futurologue réputé pour la fiabilité de ses prévisions dit les choses suivantes :

« Si vous achetez un I-phone aujourd'hui, il sera beaucoup plus élaboré que celui acheté deux ans auparavant, et coûtera 2 fois moins… Or, nous assistons au même processus d'accélération avec l'énergie solaire. Elle se multiplie par 2 tous les 2 ans, et cela depuis 20 ans. (…) Pour l'instant, l'énergie solaire a encore besoin de subventions gouvernementales, ou de régimes spéciaux, et la plupart des états les encouragent. Mais nous sommes à quelques années de la parité avec les autres sources d'énergie. Bientôt, beaucoup d'entrepreneurs s'y rallieront, même plus par souci de l'environnement, mais parce que cette énergie sera moins chère… (…) D'ici 15 ans, nous aurons une multiplication par 8 chaque année. Voilà pourquoi je pense que d'ici 20 ans, nous pourrons alors satisfaire 100% de nos besoins en énergie grâce au solaire. L'énergie du soleil nous est donnée gratuitement, elle est plus propre que toutes les autres, nous savons comment la convertir, rien n'arrêtera ce processus.

Plus loin, dans le même article, il ajoute :

La production d'énergie nucléaire apparaît aujourd'hui comme une vieille technique industrielle ultra-centralisée, obsolète, et surtout très dangereuse. Si elle ne pollue pas à la façon des énergies fossiles, en émettant du CO2, elle présente le risque permanent de tourner au désastre comme hier à Three Miles Island, et aujourd'hui au Japon. Je déconseille à quiconque d'investir dans les nouvelles implantations nucléaires, qui, en plus d'être à haut risque, prennent beaucoup de temps à mettre en place. L'arrivée de l'énergie solaire va être beaucoup plus rapide, elle peut être mise en œuvre de façon décentralisée, propre, efficace, sans danger, renouvelable. Nous entrons dans une période d'intérim, où nous allons encore dépendre du pétrole, du charbon et du nucléaire, mais l'arrivée des énergies renouvelables, et d'abord du solaire, jusqu'à couvrir 100% des nos besoins ne prendra pas plus de 20 ans.

Ray Kurzweil aura-t-il une fois de plus raison dans ses prévisions ? On le souhaite. Quand les Etats-Unis déploieront leur puissance industrielle pour développer massivement l’énergie solaire, ils pourront sans doute assurer une part importante de leur indépendance énergétique grâce au photovoltaïque. Ils ont un territoire immense et de grandes zones très ensoleillées et désertiques dans les états du sud. Pour la France et l’Europe, il faudra sans doute mêler le solaire, l’éolien, l’hydraulique et la biomasse pour se passer des énergies fossiles.

Depuis ces derniers mois, une nouvelle voie s’ouvre à l’énergie solaire : l’émergence de démocraties au sud de la méditerranée offre une occasion de bâtir des coopérations techniques et industrielles entre l’Europe et le Maghreb. Le soleil très abondant au sud de la méditerranée pourrait contribuer à alimenter l’Europe en énergie propre et renouvelable. Le projet industriel DESERTEC (voir articles publiés sur ce site) pourrait servir de support à cette coopération. Acheter de l’énergie solaire aux pays ensoleillés du sud n’est pas une nouvelle forme de colonialisme car la ressource qui servirait de monnaie d’échange, le rayonnement solaire, est inépuisable et son « exploitation » se ferait avec un minimum de contreparties négatives pour l’environnement, sinon une consommation d’espace pour l’implantation des centrales photovoltaïques. Dans une perspective sur vingt ans, le projet Desertec et d’autres projets similaires pourraient permettre de bénéficier d’une énergie propre, sûre et garantie sur le long terme. Il ne faut donc pas avoir peur de sortir du nucléaire, des alternatives existent et le recours massif à l’énergie solaire est l’une des perspectives les plus stimulantes pour construire un nouveau monde libéré des catastrophes nucléaires à répétition.


Philippe Lequenne


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