Ce nom ne vous dit peut-être encore rien comparé à Solyndra et autres Miasolé mais Applied Quantum Technology, que nous avons eu la chance de visiter, a réussi en l'espace de trois années ce que d'autres ont mis bien plus de temps à réaliser avec de surcroît des fonds bien plus conséquents. Suite à l'annonce du Président Obama concernant le prêt de 500 Millions de dollars accordé à Solyndra dont l'état fédéral se portera garant, il nous a semblé judicieux de faire un point sur la situation de la filière CIGS.

Une filière en reconversion obligée

Depuis ses débuts, la filière CIGS (Cuivre Indium Gallium Sélénium), une des trois figures de proue de la technologie couches-minces avec le CdTe (Tellurure de Cadmium) et le silicium amorphe, 2.5 Milliards de dollars [1] ont été engloutis par les start-ups se lançant dans cette voie. 2.5 Milliards de dollars et peu de résultats probants à avancer. La raison à cela? Il y en plusieurs mais la plus importante provient du fait qu'il n'existe pas d'outil standard de production des cellules pour cette filière. En conséquence de quoi, chaque acteur CIGS se voit jouer plusieurs rôles à la fois : celui de développeur, de fabricant d'équipement de production ainsi que de producteur de panneaux. L'on comprend alors bien que construire une plateforme de production autour d'un procédé balbutiant, puis essayer de marier ce procédé naissant avec un procédé de fabrication lui aussi non vérifié représente un tâche pour le moins ardue. Il y a donc risque technique et financier à se lancer dans une telle mission, difficulté que les acteurs du Capital-Risque ont bien saisis puisqu'après leur engouement d'il y a quelques temps pour cette filière, on les voit aujourd'hui beaucoup plus frileux dans leurs investissements, et pour cause... L'heure n'est donc plus aux projets nécessitant un demi Milliard d'investissement initial, mais plutôt à l'austérité et au renouveau de la filière.

Soulignons que l'évolution du marché solaire en 2009 a porté un coup dur au "business model" encore largement en cours dans la filière CIGS. En effet, 2009 a vu les prix des modules chuter très fortement en raison de la baisse du prix du silicium mais aussi suite à l'entrée sur le marché de nouveaux acteurs venant de pays tels que la Chine, chez qui les coûts de production sont significativement plus faibles. La "crise", solaire, de 2009 a malheureusement mis en lumière une des failles communes aux projets CIGS à savoir leur incapacité à produire à grande échelle, qui pourrait peut-être sur le long terme leur être fatale.

Les projections pour le marché des couches minces dans les 20 à 30 prochaines années prédisent un potentiel de croissance de 500 à 1000 fois ce qu'il est actuellement. La filière CIGS, extrêmement intéressante en termes de coût par rapport à la filière silicium, s'impose aussi par rapport à ses collègues "minces" : elle n'a pas le problème de toxicité associé au cadmium, ni le problème de rareté lié au tellure ni l'efficacité limitée du silicium amorphe. Tous ces avantages doivent être canalisés et une nouvelle filière CIGS 2.0, selon l'expression du fameux Eric Wesoff, doit voir le jour. Applied Quantum Technology a compris la leçon et semble avoir trouvé la voie du succès [3].

Applied Quantum Technology ou le renouveau du Business-Model CIGS

En 2005, les frères Bartholomeusz [2], tous droits venus de l'industrie du disque dur et du stockage optique, réalisent un voyage en Europe à la rencontre des différents acteurs du solaire. Leur expérience et leur sens de l'observation leur font émettre le constat suivant : la filière solaire "occidentale", et en particulier sa filière couche mince, n'est pas préparée à être compétitive industriellement sur le marché mondial. Elle n'est pas non plus prête aux bouleversements qui suivront l'entrée en lice de nouveaux acteurs tels que la Chine. Et un de ses gros défauts réside dans le contrôle à 100% de toute la chaîne de la valeur des acteurs du marché, ce qui implique une inertie et des coûts exorbitants.

Forte de ce constat, la paire met au point une nouvelle approche totalement à contre courant et simple à la fois ! Ils lancent en 2007 leur société avec l'idée d'utiliser les outils de productions issus de l'industrie du disque-dur pour fabriquer des cellules CIGS ayant à terme une efficacité de 14% pour un coût deux fois moins important. Le rendement de leurs cellules est le fruit de recettes internes protégées par de nombreux brevets d'une chercheuse ayant fait carrière dans le secteur du disque dur et possédant une connaissance pointue des outils de production.

L'innovation d'AQT réside donc dans l'approche: au lieu de se faire fabricants de machines, développeurs de modules et vendeurs de ces modules, AQT se concentre sur la production de cellules grâce à des outils déjà existants (gain de temps de développement) et vend ensuite ses cellules à des assembleurs qui en font des modules. Simple direz-vous, mais personne n'y avait encore pensé ! AQT est parvenu en 3 ans, grâce à une logique partenariale opportuniste notamment avec le National Renewable Energy Laboratory (NREL), à développer des cellules d'efficacité 12% (peu éloignée de la moyenne de 16% des cellules silicium) avec un financement initial de 5 Millions de dollars (un deuxième tour de table vient d'être effectué pour un montant de 10 Millions de dollars) quand Solyndra en requérait 100 fois plus...

Selon les termes de Brian Bartholomeusz son Vice-Président, cette approche devrait permettre à AQT de remplir les trois critères clés de succès pour un fabricant "photovoltaïque" que sont :

  • La capacité à produire à grande échelle;
  • La capacité à réduire ses coûts de manière significative;
  • La capacité à produire de l'innovation technologique.

AQT devrait avoir terminé la construction de sa ligne de production de 15MW cet été, et bénéficie d'un partenariat avec la société Intevac qui lui fournira ses machines de production.

Soulignons de plus la clairvoyance de l'équipe dirigeante quant à sa vision du marché. Contrairement à la tendance générale, Brian et Michael Bartholomeusz souhaiteraient une plus grande entraide entre les différents acteurs de la filière couche mince. A l'heure actuelle, 85% de la production de modules photovoltaïques est toujours détenu par le Silicium cristallin (et le First Solar qui en détient 9% à lui seul...), la compétition pour les fabricants de cellules CIGS n'est donc pas avec leurs semblables mais plutôt avec le silicium. Comme ils le disent si bien "il y a de la place pour tout le monde" !

L'exemple d'Applied Quantum Technology est démonstratif de l'adaptabilité humaine. L'aventure familiale pourrait en cas de succès redonner espoir aux investisseurs, et accélérer encore la démocratisation du solaire.


Pour en savoir plus, contacts :
  • [1] Let's talk about CIGS - greentechmedia.com
  • [2] Can AQT take a thin-film solar short-cut? - bnet.com
  • [3] Photovoltaic: time is now for pragmatic leadership - the_time_is_now_for_pragmatic_leadership - pv-tech.org

Source :

Rédacteur :
Marion Franc: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.


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